L'appartement 22

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Discussion Nord-Sud, avec Elodie Carré et Pascal Sémur Par Abdellah Karroum*

mercredi 14 février 2007

Élodie Carré et Pascal Semur travaillent sur des projets communs depuis 2001, début d’une construction artistique, sociétale, amoureuse et vitale. Avant la rencontre, la jeune femme tissait déjà des espaces de rencontres-séparations. Le jeune homme bricolait des images et des dispositifs de communication ou de non-communication. Tous les deux ont occupé des espaces publics, mesuré les limites de l’intime et du public. « Comment peut-on rencontrer l’autre ? », telle est la question que posent certaines de leurs interventions dans les espaces publics à Bordeaux, Rabat, Bolzano, Paris ou la Rochelle…

Abdellah Karroum : Je voudrais continuer notre discussion à ses points de suspension car depuis des années on ne fait que se rencontrer et se séparer de Bordeaux à Rabat et de Paris à Marseille… Dans votre projet pour la Rochelle*, vous parlez de « clivage nord-sud ». De quoi s’agit-il ?

Pascal Sémur : Le chantier du discours sur la culture n’est pas exclusif aux gens du sud et du nord. La question du sud. Le sud devrait être aussi présent à la Rochelle qu’à Dakar. Les questions des échanges culturels, sociaux et économiques sont partagées et réactivées car existantes dans tous ces mêmes contextes… Il vaut mieux se poser la question en termes de transversalité, qu’en termes de pôles ou de territoires prédéfinis. Au lieu de dire je suis ici, je dirais que je suis dans le « passage » d’ici.

Élodie Carré : Je dirais plutôt que nous nous trouvons dans une situation périphérique nord-sud qui répond à un témoignage direct d’une actualité présente. Ce clivage nord-sud : c’est un questionnement d’un ici et d’un ailleurs et de communiquer sur celui-ci, d’éveiller ce qui s’y passe au quotidien autant sur le plan de l’échange, de l’intime, que des us et coutumes de ces diverses histoires culturelles qui composent nos territoires de rencontres. Je pense que le mot « clivage » est approprié quand on parle du nord et du sud. Il s’agit d’une revendication d’un camouflage des frontières.

AK : Quand vous parlez de la relation par rapport au lieu de l’exposition, est-ce qu’il y a un regard sur l’histoire de la ville ? Qu’est ce qui définit la question Nord / Sud à la Rochelle ?

PS : C’est une préoccupation. La question nord / sud existe dans notre travail. Il se trouve qu’elle existe fortement dans l’Histoire de la Rochelle, comme dans celle de beaucoup des villes côtières atlantiques. Cette question fait partie des axes de réflexion… L’histoire du tapis élargit la question. Cette forme intègre des motifs d’Asie ou d’Europe, d’Afrique et devient un lieu de rencontre qui dépasse ce simple constat de références et devient lui-même le lieu d’une géographie propre et immédiate.

EC : La question Nord-Sud est un prétexte à une invitation, à une rencontre, et à une discussion. Tout le monde est Nord-Sud. Le prétexte des actions que nous proposons ici ou bien ailleurs est de le faire éveiller, de le questionner, pour réaliser un langage commun ou pas, qui soit porté par une narration simultanée et discontinue faisant coexister dans la même coulée textuelle, nos histoires, nos déplacements, nos passages, nos souvenirs. Il y a un double jeu dans cette rencontre, c’est-à-dire le voeu d’une cohésion avec l’autre, et le monologue de la communication qui en résulte entre ces deux axes, car chacun veut donner son propre langage à l’autre, sans vouloir l’écouter, ni l’attendre, s’asseoir, ou s’attabler.

AK : Au moment où vous travaillez sur des rencontres, vous êtes deux. Est-ce que vous travaillez sur un lexique commun ? Il y a des objets récurrents, le tapis (lieu de rencontres), l’objet de partage d’un repas…

PS : On est issu du même parcours. On a des idées qui se rencontrent. Le fait de travailler à deux oblige à une pré-présentation de tout projet puisque toute idée est déjà confrontée à nos individualités. On fabrique des objets, des protocoles, des dispositifs. Chaque exposition n’est pas dissociée l’une de l’autre… Ce tapis a par exemple été déjà réalisé aux Oudayas… c’est de travaux en travaux qu’on arrive à trouver des éléments équivalents. Avant notre rencontre, chacun de nous travaillait déjà avec des objets qui se sont traduit dans notre projet commun (la tente d’exil temporaire, le carré à Artigues…)

EC : Et nous avons une recherche en continu qu’est La Cantine Populaire, ponctuée d’actions événementielles, telle que la minute de sieste, la réalisation de recettes, de bols mous…Le travail à deux permet justement dès le départ de la réalisation du travail, d’introduire un questionnement. Nous sommes un peu ce « Nord-Sud » d’une pensée propre terminant par un langage commun.

AK : Dans votre démarche, peut-on parler de représentation ?

PS : Il y a une volonté de présenter la matière des objets à l’état brut. C’est-à-dire qu’il y a une esthétique dans les objets que nous avons choisis ou adoptés. Ce sont des objets iconoclastes. Ce ne sont pas des ready-mades. Les objets, que nous utilisons, pourraient tout à fait redevenir des objets du quotidien.

EC : Notre travail ne se situe pas dans la retransmission, la représentation des faits mais simplement dans l’action qui se déroule entre l’installation proposée et le participant. De ce fait, notre travail devient des adhérences publiques, c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans notre quotidien pour la considérer comme un usage où chacun peut se le réapproprier pour en faire comme « un enseignement », « un passage de langage ». Les objets ne redeviennent pas des objets du quotidien, ils en font partie.

AK : Seriez-vous des « anti-Duchamp » dans une perspective contraire du readymade ?

PS : Il me sera difficile de m’opposer à Duchamp. Mais c’est aussi parce qu’il a eu cette démarche qu’on peut aujourd’hui avoir une démarche inverse sans être en réaction. À la différence de muséifier un objet du quotidien, je préférerais que l’objet d’art puisse ressortir et être réutilisé dans le quotidien. Ça me semble plus important d’injecter de l’art dans le quotidien plutôt que du quotidien dans l’art. L’exemple du « bol mou » que les gens viennent chercher à la Galerie Arge Kunst pour l’utiliser à l’extérieur ou chez eux.

EC : J’aime cette idée de transmission, de passation autant sur le plan plastique qu’usuel : c’est une rencontre de passage où chacun peut faire oeuvre. Au lieu de dire si l’on est des « anti-Duchamp », nous pourrions soulever plutôt la question du rôle de l’artiste, l’artiste n’est-il pas là pour donner des outils afin de faire oeuvre. Je ne suis donc pas une « anti-Duchamp », mais une « quincaillieres de l’art ».

AK : Vous avez travaillé, il y a quelques années, au Maroc dans le décalage d’une culture, mais aussi à Bolzano dans la rencontre de différentes communautés de la ville et aujourd’hui sur des questions plus conceptuelles à la Rochelle. Quelle est la relation que vous établissez à chaque fois aussi dans l’espace réel des rencontres que dans l’espace utopique que proposent certaines de vos oeuvres ? PS : Le contexte des décalages à Bolzano me paraît aussi étranger ou familier qu’au Maroc, selon les situations. Au départ, la relation qu’on essaie d’établir avec les gens est une relation de travail. On est artistes au travail. La réflexion sur la production vient d’un groupe constitué de façon éphémère autour d’une proposition. Les propositions autour de la nourriture sont en commun à tous.

EC : Nous travaillons dans des lieux d’échange, de passage ; les objets répondent à ce lieu de vie, de commerces proches, et nous intervenons avec ce public de passage. Nous nous positionnons dans un rapport extérieur proche. C’est une relation intra Hommes. Comment habiter l’extérieur ? Comment inviter les gens dans leurs propres pays ? Nous étendons notre travail artistique aux lieux de vie, l’un sur le questionnement de la transculturalité, l’autre sur la problématique d’un public autour d’un processus de l’oeuvre, et le tout faisant un territoire commun, abandonnant les frontières et s’ouvrant sur un espace public où le citoyen pourra t-il ou non échanger sa parole avec l’artiste-citoyen, le voisin-citoyen, le cuisinier-citoyen…

AK : Mais la question du goût n’est pas commune à tous et l’utopie de l’art est souvent marginale. Comment vous imaginez et « cadrez » vos moments de rencontres ou de participations des « publics » ? PS : La question des choses de faire du bon ou non, ne nous intéresse pas. C’est la mise en commun de la réalisation qui nous importe. Il est question d’assembler tout ça en parole et tout ça en nourriture… Les chefs sont capables de faire des arrangements pour assembler l’ensemble. Ils sont des modérateurs dans nos rencontres… Cette esthétique de la rencontre se joue en fonction de la participation et de la réaction de gens.

EC : C’est une rencontre de chacun de nos quotidiens qui en se mêlant en une seule forme et matière, s’explore, s’invite réciproquement, tout en montrant la complexité de nos identités culturelles et sociales. Donc chacun est dans le voeu de se mélanger au goût de l’autre pour transmettre le sien, le tout dans une histoire commune ; c’est un goût propre, un langage propre d’une culture commune en définitive, même s’il y a conflit et divergence d’histoire, de désirs, d’idées. Comme nous avons pu le dire lors de la recette Nord-Sud et celle de Bolzano par exemple, peu importe le goût et la forme de la cuisine, l’important c’est qu’elle permet d’entremêler la traduction de cultures différentes mais d’une histoire commune.

AK : Peut-on dire que nous sommes dans le même espace ?

PS et EC : Nous sommes dans un espace en partage, intellectuellement et physiquement, mais pas toujours en équilibre… Notre position est sur un périphérique de cultures différentes qui se rencontrent sur un temps éphémère. C’est une rencontre de passage.

* Cet entretien est réalisé à l’occasion de l’exposition de "La cantine populaire" et suite à la résidence de Elodie Carré et Pascal Semur à l’Espace Art Contemporain/ la Rochelle Du 22 novembre au 14 janvier 2007
Affiche de l'exposition "La Cantine Populaire" au Centre d'art contemporain, (...)